Luc Ferrari, compositeur de musique électroacoustique
LE MONDE | 23.08.05 | 17h08 • Mis à jour le 23.08.05 | 17h08
e compositeur français Luc Ferrari est mort d'une pneumonie à Arezzo, en Italie, où il se trouvait pour des vacances, lundi 22 août. Il était âgé de 76 ans.
Luc Ferrari n'était pas un auteur connu du grand public, mais son travail dans les domaines de la "musique concrète" (un terme inventé par Pierre Schaeffer, en 1948) pour sons enregistrés était admiré par beaucoup pour sa singularité, sa poésie, sa variété.
Né le 5 février 1929, à Paris, Luc Ferrari poursuit d'abord des études de piano. Ses études de composition avec Arthur Honegger et Olivier Messiaen ne le marquent guère. Mais, comme beaucoup de jeunes compositeurs de l'après-guerre, il fréquente les cours d'été de Darmstadt, en Allemagne, le QG annuel de l'avant-garde sérielle : "La grande rencontre musicale, (ce fut) avec John Cage, qui faisait exploser toutes ces idées qui commençaient déjà à devenir un peu institutionnelles."
Son sens de l'humour et de la provocation, ses interventions dans des champs divers - ­ film, documentaire, radio, théâtre musical ­-, n'aideront pas à repérer la place précise de ce créateur pris par certains pour un bricoleur de génie. David Jisse, compositeur, homme de radio et actuel directeur du centre de création musicale La Muse en circuit, que Ferrari fonda en 1981, explique : "En fait, la première impression de 'bricolage', souvent relevée, est contredite par l'analyse de ses œuvres, qui révèle une précision diaboliquement rigoureuse au service d'un monde abstrait et personnel aux portes du réel. Il était perméable à son temps, mais toujours d'une manière singulière."
Dans la préface de l'enregistrement de sa très belle pièce de 1999, Far-West News épisode n° 1 (1 CD Signature Radio-France/INA), le résultat d'un périple avec un "micro voyageur" dans le sud-ouest nord-américain, le compositeur livre un prière d'insérer applicable à son œuvre entière : "Ce n'est ni un reportage, ni un paysage sonore, ni Hörspiel (pièce à écouter), ni œuvre électro, ni portrait, ni une exposition d'enregistrement du réel, ni une transgression de la réalité, ni une narration impressionniste, ni... etc. C'est une composition. (...) Ensuite j'ai appelé ça poème sonore autour d'un voyage réel tant il se peut que la poésie joue avec la réalité comme d'un accordéon, que la composition dans certains cas, surtout dans le mien et progressivement dans ma vie, est un jeu pervers avec la vérité."
DISSENSION FONDAMENTALE
La brouille entre Luc Ferrari et Pierre Schaeffer, le fondateur du Groupe de recherche musicale, en 1958, sera retentissante et fondée sur une dissension fondamentale : "Schaeffer faisait un travail de recherche presque fondamentale sur le son, il voulait bannir le sens. Ferrari, avec sa première grande composition de musique, dite "anecdotique", Hétérozygote (1963-1964), gagnée par des sons du réel, démontait l'idéal schaefférien", déclare Daniel Terruggi, actuel directeur de l'INA-GRM. "Pour lui, il n'y avait pas de catégories. Tous les sons pouvaient être utiles. Son œuvre est très variée, constituée de petits jardins, qu'il arrosait régulièrement." Le site du GRM propose une écoute interactive de cette pièce fondamentale.
Luc Ferrari, qui devait écrire d'abord de la musique strictement instrumentale (notamment pour le piano), continuera à associer instruments et sons "concrets". Il écrira aussi de la musique instrumentale "pure", comme en témoigne par exemple son Histoire du plaisir et de la désolation (1979-1981), d'une gourmandise (volontiers dévoratrice de la musique d'autrui) et d'une vitalité sonores proprement enthousiasmantes.
Le musicologue et homme de radio Daniel Caux, un proche de Luc Ferrari, souligne : "C'était un créateur passionné par l'observation du réel : les désordres du corps seront la source d'inspiration de ses deux dernières œuvres. Créés le 7 juin à La Chaux-de-Fonds, en Suisse, Les Arythmiques prennent en compte ses récents troubles cardiaques tandis que Morbido Symphony explore la gamme des sensations liées à la maladie. Son dernier commentaire sur cette pièce est qu'elle allait être très drôle." |